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Michel Barnier et David Frost, deux négociateurs chevronnés pour l’après-Brexit

Après le départ des Britanniques des institutions européennes, vendredi 31 janvier, l’UE est entré, samedi 1er février, dans la seconde phase des négociations sur le Brexit avec Londres. Elle portera, jusqu’au 31 décembre 2020, sur la relation future, en particulier au niveau commercial. La Commission présentera dès lundi 3 février un mandat de négociation, qui devra être approuvé par les Etats membres lors d’une réunion ministérielle le 25 février. Les discussions pourront alors officiellement débuter. Avec, à la manœuvre, Michel Barnier, le « M. Brexit » de l’Union européenne et son homologue britannique David Frost.
« Je suis un montagnard », a coutume de dire Michel Barnier, dans les moments difficiles comme dans ceux qu’il convient de fêter. Cette phrase fétiche, ce Savoyard d’adoption – né à La Tronche, en Isère, il a multiplié les mandats locaux en Savoie – l’a de nouveau prononcée le 17 octobre 2019, en présentant l’accord de divorce auquel l’Union européenne était parvenue avec le Royaume-Uni plus de trois ans après le référendum. Sans doute l’entendra-t-on encore souvent ces prochains mois, quand il commentera l’avancée de ses discussions avec Londres sur la relation future entre les deux ex-partenaires.
D’ici au 31 décembre, le « M. Brexit » de l’Europe va devoir réaliser un petit miracle : nouer avec le voisin d’Outre-Manche un partenariat dont on ne connaît pas les contours à ce jour, mais qui devra appréhender aussi bien les questions de commerce, de pêche, de finances que de sécurité. « Nous devons tout reconstruire », a déclaré plusieurs fois le Français, qui n’exclut pas que l’affaire se finisse en « no deal ».
Michel Barnier est un Européen convaincu. Né en 1951, comme la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), il aime à rappeler que c’est en 1972 qu’il a voté pour la première fois, à l’occasion du référendum sur l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union. Mal aimé à Paris, où son peu de goût pour les petites phrases politiques bien ciselées et son manque de glamour lui ont sans doute nui, ce gaulliste social a su se rendre incontournable à Bruxelles.
Son anglais parfois hésitant et son sens de l’humour limité ne l’ont pas empêché de remplir, jusqu’ici, sa mission avec talent.
A deux reprises, il a été commissaire, à la politique régionale (1999-2004) d’abord puis au marché intérieur et aux services financiers (2010-2014) où il a affronté la City. Michel Barnier a ensuite été le conseiller spécial défense de Jean-Claude Juncker quand ce dernier était président de la Commission, avant de devenir son « M. Brexit » en 2016. Son anglais parfois hésitant et son sens de l’humour limité ne l’ont pas empêché de remplir, jusqu’ici, sa mission avec talent.
Après avoir été candidat – malheureux – à la tête de la Commission en 2014, il espérait qu’en 2019 son tour viendrait. Mais celui qui fut plusieurs fois ministre, sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, n’a jamais été dans les petits papiers d’Emmanuel Macron. Et l’Elysée n’a pas apprécié son soutien à François Fillon en 2017, ni qu’il ait appelé à voter François-Xavier Bellamy, la tête de liste LR aux Européennes en mai 2019. Le président a finalement choisi l’Allemande Ursula von der Leyen.
Lorsqu’en octobre, le Parlement européen a refusé à Sylvie Goulard d’être la commissaire française, le nom de Michel Barnier a de nouveau circulé. D’autant que l’accord de divorce avec le Royaume Uni était scellé. Mais à l’Elysée, on attendait de lui qu’il quitte le PPE, qui rassemble la droite européenne. « Barnier est un gaulliste social depuis quarante-cinq ans, il ne va pas se transformer en jeune « marcheur » », décrypte l’un de ses proches. Le « montagnard » poursuit sa route.
Les Européens ne le connaissent pas, les négociateurs bruxellois à peine davantage. David Frost, 54 ans, sera pourtant un personnage-clé, sinon le maître d’œuvre de la négociation qui va s’engager d’ici à mars sur la « relation future » entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE). Installé à Downing Street, il va diriger une équipe d’une quarantaine d’experts rattachée directement à Boris Johnson, sans ministre ni secrétaire d’Etat pour jouer les intermédiaires.
Pour les Européens, cette position hiérarchique – presque au sommet – présente un avantage considérable : quand ils parleront à David Frost, homme de confiance de Boris Johnson, ils savent que le message sera transmis directement au « boss ». Quand, symétriquement, David Frost prendra une position de négociation, elle sera, sans ambiguïté, celle du gouvernement britannique. Et même du pays tout entier, étant donné la majorité considérable – conservatrice et pro-Brexit – entrée à la Chambre des communes à la suite des élections générales de décembre.
En réalité, David Frost effectue déjà des allers-retours entre Londres et Bruxelles depuis cet été – M. Johnson a fait appel à lui dès qu’il est entré à Downing Street. Mais ce diplomate de carrière, ex-chef du département Union européenne (UE) au Foreign Office, est un homme discret. Allure passe-partout, humeur égale, toujours poli, presque distant : il n’est pas du genre à prendre la lumière à la place de M. Johnson et a peu à voir avec son prédécesseur, le brillant Olly Robbins, négociateur en chef du Brexit pour Theresa May.
David Frost est réputé efficace, précis, fiable mais peu commode et pas très souple dans les négociations
Pour autant, personne ne le sous-estime à Bruxelles. Réputé efficace, précis, fiable et en même temps peu commode et pas très souple dans les négociations, il est désormais auréolé du succès engrangé par Londres en octobre 2019. Après avoir refusé de discuter avec Bruxelles, au motif que la « solution irlandaise » de l’époque (destinée à éviter le retour d’une frontière dure sur l’île) était inacceptable, Londres a opéré un virage brutal fin septembre. En dix jours, contre toute attente, un nouvel accord de divorce était alors bouclé, juste à temps pour un conseil européen décisif.
Surtout, M. Frost est un authentique brexiter, un des rares au Foreign Office, « et, dans la négociation, c’est un aspect psychologique très important », juge un diplomate européen. M. Frost faisait d’ailleurs part vertement de ses convictions dans le Daily Telegraph, en juillet, juste avant d’être appelé à Downing Street : « Ce n’est pas le rôle des entreprises britanniques de s’opposer au Brexit. » A l’époque, il était encore patron de la chambre de commerce de Londres, après avoir été, pendant trois ans, lobbyiste en chef pour l’Association des whiskys écossais. Un curieux parcours pour un diplomate, mais le signe d’une expérience très pratique des intérêts britanniques.
Le Monde
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